Ingénieure, diplômée de l’Ecole polytechnique d’Alger, major du MBA de Sciences Po-Paris et essayiste, auteure de ‘Décomposition française’’ et ‘‘Les dindons de la farce’’ (Albin Michel), Malika Sorel a siégé au Haut Conseil à l’intégration. Cette partisane de l’assimilation et de la laïcité figure en deuxième position sur la liste du Rassemblement national aux élections européennes. Explications.
Par Martine Gozlan– Votre parcours personnel, intellectuel et politique de Française issue de l’immigration algérienne constitue un plaidoyer pour l’assimilation. Est-ce notamment parce que ce choix a été dévalorisé dans le discours public dominant que vous avez rejoint le Rassemblement national ?
– Malika Sorel : Dans mes écrits, je dénonce l’existence d’une absurde et contreproductive ‘‘prime à la non-assimilation’’. Je pense souvent à l’Algérie où j’ai vécu, au fait que jamais cette absurdité n’aurait pu y éclore et encore moins y prospérer. Voilà des années que je m’entretiens avec des personnalités politiques de tous bords pour les motiver à agir. Lorsque Jordan Bardella m’a contactée, c’est du combat pour la France qu’il m’a parlé. C’est l’urgence du moment qui m’a fait accepter de m’engager dans ces élections. Rester passive me détruisait de l’intérieur. C’est au moment des émeutes de banlieues de 2005 que je suis entrée dans l’arène des idées politiques. J’ai alors saisi l’ampleur des défis ainsi que le côté totalement hors-sol d’une grande partie de la classe politique qui s’entêtait à tout ramener à une question socio-économique, quand éclatait sous nos yeux que nous faisions face à un malaise profond lié à des phénomènes de dissonances identitaires.
L’assimilation se joue sur le registre moral et affectif et par conséquent, elle ne peut être imposée. Mais il convenait de veiller à ne pas la rendre impossible. Or, au fil du temps, nombre de décisions politiques ont conduit à faire qu’elle ne s’effectue plus qu’à la marge. Le Code civil subordonnait l’octroi de la nationalité française – donc aussi du droit de vote – à la réussite de l’assimilation. Les élites l’ont foulé aux pieds. C’est une source majeure des graves problèmes auxquels notre société se retrouve désormais confrontée. Si l’assimilation ne peut être imposée, l’insertion culturelle, elle, doit l’être impérativement. À défaut, point de vie possible, dans la paix, dans la durée ! L’insertion n’est que le simple respect des règles du pays où l’on vit, même si on ne les partage pas en son for intérieur. C’est ce que nous faisons spontanément lorsque nous nous retrouvons à l’étranger.
– Que dites-vous à ceux qui jugent votre engagement en contradiction avec vos origines ?
– La génétique ne fait pas l’identité. L’approche ethno-raciale est, dans les faits, raciste. Même s’ils se rejoignent dans leur approche et dans leur finalité qui est de nier que l’identité puisse être dynamique, il convient de distinguer, ici, deux groupes :
Dans le premier, ceux qui ont une lecture de la francité par la race et la religion et qui convoquent, pour ce faire, le propos mis dans la bouche du Général de Gaulle par Alain Peyrefitte, propos qui réduit la France aux « Européens de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. », fermant ainsi la porte, ou rendant suspects, tous ceux qui ne rentrent pas dans cette définition. Cette approche a été prolongée pour les prénoms. Jean-Luc, qui porte les prénoms de deux saints chrétiens et qui, selon les termes de Kamel Daoud tente « avec Rima Hassan, de monopoliser l’émotion pro-palestinienne et l’électorat ‘‘musulman’’ sinon islamiste », avec les ravages que nous observons, lui, est Français. De même en est-il d’Emmanuel selon lequel « il n’y a pas de culture française ». Par contre, Malika, et à travers elle, tous ceux qui ne portent pas des prénoms dits français et ne sont pas issus de familles de culture chrétienne, eux, voient leur francité être suspectée et même parfois déniée.
Et puis il y a ceux qui ont cette même approche de l’identité par la généalogie, qui considèrent que la naissance fait l’appartenance et impose de se conformer aux commandements qui structurent leur groupe supposé. Le groupe soumet la personne, lui impose, parfois par la violence, qu’elle se comporte en privé, comme en public, selon des normes culturelles identificatoires. La définition la plus éclairante de la culture est celle du monde de la psychologie qui pose que « la culture, c’est la pression que le milieu social exerce sur le développement psycho-physiologique des individus. » Dès 1991, dans un rapport qui émane d’institutions européennes, on pouvait lire que « pour de nombreux immigrés et membres des groupes ethniques, l’identité culturelle se confond largement avec la religion » C’est pourquoi tout acte perçu comme un acte d’émancipation peut déclencher un « traitre à ta race », la race étant ici la culture ou religion, et non la couleur de peau. Aucune personne issue d’une ethnie du Maghreb ne se vit autrement que de race blanche. L’approche de cette problématique par la couleur de peau trouve donc ici sa limite.
– Que combattez-vous en priorité ?
– Je combats les décisions politiques délétères, toxiques, et souhaite participer à réinjecter de la cohérence à tous les étages, sur ces sujets et sur bien d’autres. Des exemples ? Pourquoi avoir mis en péril la laïcité alors qu’elle est la digue qui protège notre société ? Comment aider les enfants de l’immigration à réussir à l’école puis être reconnus dans le monde de l’entreprise, tout en nivelant le niveau par le bas et en instaurant la discrimination positive qui jette la suspicion sur les compétences réelles ? Pourquoi persister dans une immigration dont on sait que l’insertion culturelle relève désormais de la gageure ? Comment espérer créer les conditions d’une émancipation et, dans le même temps, organiser le culte, institutionnaliser des interlocuteurs qui s’expriment au nom de tous les enfants de l’immigration musulmane, ce qui les empêche de réussir à conjuguer foi et citoyenneté, comme d’autres avant eux ?
Certes, existe une hiérarchie dans les responsabilités avec, au sommet de la pyramide, les décideurs politiques et la haute administration. Mais il n’en demeure pas moins que les citoyens ont un rôle à jouer et, face à l’Histoire, ne pourront se laver les mains. Einstein disait que « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent sans rien faire ». Tant que l’on persistera à se lamenter sur les conséquences sans s’interroger sur les causes, nous continuerons à marcher vers l’abîme. C’est pourquoi j’œuvre aussi à la prise de conscience sur le poison mortel, pour notre démocratie, que constituent l’indifférence et l’égocentrisme.
Alexis de Tocqueville nous avait prévenus : « Quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie. » Ce ne sont donc pas nos ennemis qui sont forts, mais nous, citoyens des démocraties, qui sommes faibles. Comme disait Hannah Arendt, « La puissance jaillit parmi les hommes lorsqu’ils se rassemblent ». Nous devons donc nous rassembler autour de l’essentiel, faire passer nos querelles au second plan pour, tous ensemble, relever le défi de la continuité historique de la France. Car oui, ce qui se joue sous nos yeux, c’est le destin de la liberté individuelle, de l’égalité entre hommes et femmes, de la fraternité qui transcende l’appartenance – ou pas – à une religion. Ce qui se joue, c’est le devenir de la paix civile. Nous pouvons encore dessiner de nouvelles perspectives. J’y crois !