Comment un Suisse, d’origine égyptienne, a-t-il pu séduire, à partir des années 90, autant de jeunes musulmans des banlieues françaises ? Certes, Tariq Ramadan parle bien. Grand, mince, élégant, il a du charisme, un sourire charmeur. Un discours parfaitement adapté à son auditoire. Mais l’essentiel n’est pas là. Il est le petit-fils d’Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans égyptiens.
Une telle lignée, cela en impose quand ceux qui vous écoutent tirent le diable par la queue. Et que leurs parents, venus du bled, ont trop vite quitté l’école et alignent les petits boulots.
Et surtout, les autorités françaises ont fait à Tariq Ramadan un superbe cadeau, en lui interdisant le territoire français pendant quelques semaines, de novembre 1995 à mai 1996. Dorénavant, pour les jeunes des cités, il est le rebelle. Celui qui combat l’Occident dominateur et arrogant. Le bourgeois suisse n’hésite pas à se comparer à Malcolm X. Malgré tout, il lui reste juste une petite touche à rajouter pour peaufiner son image. A l’époque, il n’est que professeur de français dans un collège de la banlieue genevoise. Ce n’est pas dévalorisant, mais pas suffisant pour passer pour un intellectuel.
Il part à la conquête de la petite université catholique de Fribourg (10.000 étudiants). Que leur propose-t-il, en 1997 ? Donner bénévolement chaque semaine un exposé d’une heure, intitulé « introduction à l’islam ». Ça tombe bien : la Suisse, qui n’a pas de passé colonial, comptait très peu de musulmans, avant les guerres des Balkans. Depuis, elle a accueilli des Bosniaques, des Kosovars, des Macédoniens. Dorénavant, Tariq Ramadan se présente dans tous les colloques et conférences en France, au Canada, en Afrique, comme « professeur de philosophie et d’islamologie de l’Université de Fribourg ». Il se donne encore ce titre dans Le Monde du 31 mars 2005… alors que l’université de Fribourg avait fini par se passer de ses services un an plus tôt !
Mais le plus grave ne réside-t-il pas dans l’aveuglement des animateurs de télévision et des journalistes, qui n’ont jamais cessé de lui tendre leurs micros ou leurs stylos ? Aucun n’a pris la peine de vérifier, alors que cette imposture est racontée en détails, depuis plus de dix ans, dans plusieurs biographies consacrées à Tariq Ramadan. Il fallait attendre le 16 février 2018 pour que le vice-président du Parti socialiste du canton de Fribourg interpelle le Parlement cantonal : « L’accusation de “faux professeur“ est lourde de sens. Elle impliquerait que notre université ait pu se faire berner sur le statut académique de Tariq Ramadan. Elle impliquerait aussi et surtout que les étudiant-e-s qui ont été élèves dudit islamologue aient été trompé-es-s ».
Le rectorat de Fribourg lui a aussitôt répondu que « Tariq Ramadan n’était ni professeur, ni même assistant » !
* Journaliste et écrivain, spécialiste des Frères musulmans