Écrivain, aviateur et marin, Patrice Franceschi nous invite, dans son nouvel ouvrage intitulé ‘‘Croire et agir’’ (Plon, 2024), à en finir avec ce qu’il nomme « l’impuissance européenne ». Pour l’aventurier philosophe, notre avenir politique passe par un projet d’Europe fédérale.
Par Joseph MartinPatrice Franceschi est un homme engagé. Sur bien des fronts. De l’Amazonie au Kurdistan syrien, cet inlassable bourlingueur a fait de la planète sa demeure, des minorités combattantes pour un idéal de liberté, ses alliées. À l’adolescence, ce fils d’officier parachutiste a déjà soif de découvrir le monde. Il commence ses premiers voyages. Destination la Guyane, puis le Brésil. À 20 ans, ce sera le Congo, où il entreprend une expédition chez les Pygmées réfugiés au cœur d’une jungle immense et cruelle. Elle lui façonnera l’âme et lui donnera envie de prolonger l’aventure. Il parcourt alors le désert égyptien, longe le Nil depuis sa source, puis ce sera l’Himalaya, l’engagement auprès de ‘‘boat people’’… Ça, c’est pour ses débuts. Car dix livres ne suffiraient pas pour raconter sa vie. Alors on préfère s’arrêter là, pour donner envie aux curieux d’aller chercher la suite. Il le mérite, Patrice Franceschi. Car on ne le dira jamais assez : le lire, c’est parcourir une histoire du monde.
En réalité, Patrice Franceschi est un personnage que l’on croirait tout droit sorti d’un roman de Kessel. Un idéaliste et un humaniste au tempérament forgé dans un acier inoxydable, qui voit dans le risque et l’engagement la seule façon de vivre, et surtout de partir un jour sans regret. Franceschi, au fond, c’est l’incarnation de ce que la France fait de mieux : un mélange réussi d’Hugo, de Monfreid et de Chateaubriand. Ceux qui en doutent seraient bien inspirés de se plonger dans ses ouvrages, véritable trésor de réflexion sur l’humanité autant que de courage.
Patrice Franceschi a vu le monde. Parce qu’il a côtoyé des héros, des desperados et toutes sortes de gens de pouvoir, il l’a analysé, décortiqué sous toutes ses facettes. Il le comprend mieux que beaucoup de nos sachants.
Pour ‘‘Croire et agir’’, l’aventurier philosophe a choisi la forme d’un manifeste qui nous entraîne sur les rivages d’une Europe civilisationnelle entièrement refondée. Au fil des pages, il oppose ainsi à l’actuelle Union européenne qu’il juge défaillante – car bâtie sur l’économie – un projet fédéral d’États-Unis d’Europe qui serait construit sur des fondements prioritairement politiques. Dès les premières pages, il l’affirme avec force : « L’avenir de l’Europe est une affaire trop importante pour être laissée entre les mains des seuls professionnels de la politique. L’examen de leurs discours et de leurs actions, souvent contradictoires, amène à penser qu’on ne pourra guère compter sur eux pour mettre à l’ordre du jour un projet collectif à même de rassembler les peuples composant cette vieille Europe ».
Patrice Franceschi sait de quoi il parle, lui qui a passé sa vie à monter des expéditions autour du monde en s’appuyant sur des équipes chevronnées : mal agir et mal nommer les choses, c’est courir à la catastrophe.
Il met en garde, aussi, contre cette habitude que l’homo politicus européen a de nier le réel, en ne regardant pas la vérité en face. Et contre cette manie qui consiste à défier le sacré, voire à le tourner en dérision, simplement parce qu’il ne correspond pas à l’air du temps.
Au contraire, explique-t-il, il faut être prêt, plus que jamais, à défendre des causes, à mourir pour elles. À raison, il invoque l’Europe culturelle et la nécessité de cartographier « les sables mouvants » qui la fragilisent. À commencer par les normes, qui menacent les libertés individuelles autant que l’esprit d’entreprise. Il met également en garde contre ceux qui confondent progrès humain et progrès technologiques. « Depuis l’aube des temps, nous sommes conditionnés par une équation simple : nouveauté = progrès. Tout ce qui est nouveau est bon par principe. Cette équation a été très longtemps valide dans ses grandes lignes et ne faisait pas débat. Nous progressions parallèlement dans les deux domaines, l’invention de l’imprimerie menant à celle des droits de l’Homme, la naissance de l’électricité cheminant avec celle de la démocratie ». Et de dresser un constat, citant Hannah Arendt : « Plus rien ne va de soi (…) le progrès de la science a cessé de coïncider avec celui de l’humanité ».
S’il souligne ce que nous savons tous, c’est-à-dire la déconnexion entre la parole et les actes de nos élites, comme leur renoncement à l’esprit des Lumières, Patrice Franceschi reste intimement convaincu que rien de grand ne se réalise si la générosité et le courage politiques font défaut.
En homme de défis, il propose de rompre les tabous et de s’attaquer à la société de surveillance généralisée et au transhumanisme qui menacent l’humanité. Il appelle, enfin, la démocratie à avoir le courage de défier l’islamisme.
Pour y parvenir, l’État fédéral des États-Unis d’Europe doit affirmer une homogénéité culturelle « issue de l’identité civilisationnelle de l’Europe pour mieux assurer sa cohésion d’ensemble en même temps que l’expression des identités locales, régionales et nationales ».
On ne peut qu’être d’accord avec lui. D’autant que son livre, loin d’être un énième programme politique sans fond, nous invite à nous affirmer face aux nouveaux totalitarismes qui nous menacent.
Avec ‘‘Croire et Agir’’, Patrice Franceschi nous livre un manuel de philosophie politique autant que de combat, à travers lequel il invite la jeune génération à l’action collective : « À l’heure où toute une jeunesse est en quête de sens, il faut lui dire qu’il existe des desseins collectifs assez grands pour valoir la peine de vivre pour eux, c’est-à-dire de tout risquer, même lorsque les choses semblent incertaines, inatteignables, impossibles.
L’heure est suffisamment grave pour justifier notre volonté de “renverser la table” pour de bon, pour ne plus se contenter de demi-mesures, et porter vers l’avenir un grand projet. L’adhésion à un but collectif est ce qui peut redonner sens à nos vies individuelles. Le reste n’est que détail. Qu’avons-nous à craindre ? Rien. Qu’avons-nous à perdre ? Tout. »
À lire absolument !
– Croire et agir, Pour en finir avec l’impuissance européenne, Patrice Franceschi, Plon, 2024.