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KONRAD K./SIPA

 

L’impasse des radicalités : Fracture(s) française(s)

2 juillet 2024 Investigations   48922  

Au « France, qu’as-tu fait de ta gauche ! » lancé par Jean-François Kahn dans son dernier pamphlet, succède en cet étrange été une nouvelle inquiétude. « France, qu’as-tu fait de ton sens de la mesure et de ta raison cartésienne ? » pourrait-on s’alarmer en scrutant le ciel incertain, au lendemain d’un scrutin législatif qui a vu le tumulte des passions et des radicalités l’emporter sur le consensus et la retenue…

Par Martine Gozlan

Tant de vacarme et de confusion nous assaillent qu’on peine à reconnaitre ce pays. Un pays de soleil timide auquel les nuages discrets semblent recommander de ne rien ternir. Un pays qui longtemps, par son caractère tempéré, a séduit, voire guéri les natifs d’un ailleurs volcanique. L’écrivain Élie Faure, lancé naguère à la découverte des âmes européennes dans sa brillante ‘‘Découverte de l’archipel’’ (Livre de poche), saluait l’aptitude française si particulière à « maintenir sans broncher le tumulte des passions dans le cadre de l’intelligence ».

Il semble que les jets de haine brûlante déversés depuis plusieurs décennies sur notre patrie, sa culture, ses traditions, ses attachements, sa mémoire, aient fini par éroder cette faculté. On ne sort pas indemne des vagues d’attentats islamistes, des chocs sociaux, de la révolution numérique, de l’écroulement des idéaux politiques. Le pays, dont nul ne peut prévoir, au lendemain d’élections législatives estivales marquées par deux coups de théâtre, la façon dont il naviguera vers l’automne, est confronté à l’impasse des radicalités.

Entre la virulence d’un Rassemblement national, vainqueur au premier tour puis défait au second par un Front républicain fait de bric et de broc, et celle d’une France insoumise qui prétend à tort régenter la gauche, la tempête fait rage sur l’Assemblée, miroir d’une nation fracturée.

Si on doit ce grand remplacement de la raison par les passions aux caprices du prince, Macron ayant joué la France aux dés avec sa dissolution, le phénomène ne s’est pas installé d’un dimanche de vote au suivant. Nous sommes en réalité les citoyens d’un corps malade, l’explique Jean-Yves Camus, essayiste et chercheur, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques.

Le cher et vieux pays gaullien est couturé de cicatrices mal refermées. Celles de la Révolution de 1789 à la guerre d’Algérie, en passant par l’Occupation. On pourrait presque dire – en prolongeant cette démonstration – que le morcèlement politique actuel est un amas d’héritages contradictoires. LFI rejoue la guerre d’Algérie en instrumentalisant l’électorat musulman avec la Palestine, Rima Hassan étant chargée de vamper les masses. Les consignes de désistement du Front républicain se donnaient des airs de résistance au fascisme des années noires. Le Rassemblement national, dont les sympathisants historiens et universitaires vouent 1789 aux gémonies, se voulait pourtant être la voix des nouveaux gueux, des paysans aux pêcheurs méprisés par le château au peuple ouvrier abandonné par la gauche.

Tout était faux et tout était vrai. Le peuple français, avec et malgré ses divisions, a voté de toute son âme, dans un élan qui a tétanisé les observateurs sur la scène internationale. Notre taux de participation de 67 % renvoie dans les cordes des capitales promptes à nous faire la morale. Une fois encore, le monde regarde les Français. Si, comme le souligne encore Jean-Yves Camus, notre influence diplomatique est en chute libre, du Liban à l’Afrique, il en va tout autrement de notre influence morale et intellectuelle.

« Étonnez-moi ! », chuchotait la talentueuse et regrettée Françoise Hardy. Emmanuel Macron a mal compris cette invitation. Surjouant les sauveurs comme à l’accoutumée, il en a fait une caricature en nous embarquant sur son radeau de la Méduse. Nous n’avons pas coulé. Les Français, qui se souviennent aussi de Mai 68, ne renoncent pas à mettre l’imagination au pouvoir. C’est l’enjeu des coalitions en suspens, faute de majorité. Cependant, pour triompher, l’imagination doit vaincre les imaginaires. C’est précisément sur eux que prospèrent les extrêmes.

L’antisémitisme affiché de plusieurs stars de LFI déshonore la gauche. L’affaire, hélas, ne date pas d’hier. L’historien Pierre-André Taguieff éclaire, dans un texte vigoureux et inédit, les coulisses d’une trahison séculaire : celle, dès le XIXème siècle, des socialistes vis-à-vis des Juifs qui espéraient en eux et, paradoxalement, persistèrent à croire en eux. Les insultes proférées contre Raphaël Glucksmann qui, avec Place publique, défendait et défend toujours les couleurs de la gauche au sein du ‘‘Nouveau Front populaire’’, témoignent de cette tragédie.

On mesurera demain, dans les livres d’Histoire, la faille béante ouverte aujourd’hui chez les Français juifs par les infamies de tout le gratin de LFI, Jean-Luc Mélenchon en tête qui, bien avant la campagne des élections européennes et législatives, grasseyait que « Jésus avait été tué par ses compatriotes ». Jean XXIII, le bon pape du concile Vatican 2 qui, en 1962, mit un point final à l’enseignement du mépris, doit se retourner dans sa tombe. L’élection de Raphaël Arnault, dans la première circonscription du Vaucluse, n’a rassuré personne. Ce fiché S affirmait au soir du 7-Octobre : « La résistance palestinienne a lancé une offensive sans précédent sur l’État colonial d’Israël ». Porte-parole du mouvement antifasciste dit ‘‘La jeune Garde’’, il incarne en réalité la vieille garde de la haine. Mathilde Panot, chef du groupe LFI, l’a serré dans ses bras avec effusion à son arrivée à l’Assemblée nationale.

En riposte, l’état-major du Rassemblement national se présente comme le garant de la sécurité des Juifs. Toutes ses déclarations rassurantes, dans un climat d’antisémitisme maximal effectivement provoqué par la campagne quasi-palestinienne des Mélenchonistes, apportaient de l’eau au moulin de la normalisation du mouvement. Il en allait différemment dans les profondeurs du RN. Les propos des ‘‘brebis galeuses’’ investies dans la précipitation ont défrayé la chronique. Les flatulences verbales des candidats se conjuguaient à leur impréparation. Ex-député du RN et proche de Reconquête, l’avocat Gilbert Collard dénonçait, au lendemain du second tour, l’absence de relève culturelle et intellectuelle dans son camp.

La radicalité se combat à la base : si elle n’est pas extirpée, les liftings au sommet finissent par craquer. Nous n’en avons pas fini avec le choc des extrêmes. Il faudra tout le génie français pour sortir de cette impasse…