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Hani Mohammed/AP/SIPA

 

Qui sont les Houthis, ces obscurs rebelles qui perturbent le commerce international ?

22 janvier 2024 Investigations   134422  

Avant novembre 2023 et les attaques ciblant les navires en mer Rouge, qui s’intéressait véritablement à la guerre civile qui ravage le Yémen depuis 9 ans ? Qui connaissait le groupe Ansar Allah (Partisan de Dieu), le nom officiel des Houtis ? Qui avait entendu parler du zaydisme, cette branche très minoritaire de l’islam chiite ? Aujourd’hui, ces rebelles venus des montagnes se sentent capables de perturber l’économie mondiale pour imposer leurs conditions aux États-Unis et à Israël.

Par Ian Hamel

Les plus hauts responsables de l’appareil sécuritaire américain, qui conseillent Joe Biden, en campagne pour sa réélection, doivent être fort embarrassés. D’une part, leur opération ‘‘Gardien de la prospérité’’, susceptible de ralentir les ardeurs guerrières des Houthis, n’a pas obtenu les résultats escomptés. Les rebelles yéménites continuent de cibler les bateaux empruntant l’autoroute maritime de la mer Rouge. D’autre part, les États-Unis n’ont pas vraiment obtenu de renforts ni des Européens, ni même des pays du Golfe. L’Arabie saoudite, l’Égypte et la Jordanie ont appelé à « éviter l’escalade ». Quant à la France, alors qu’elle dispose de « moyens militaires adaptés à cette opération » à Djibouti, elle se garde bien de participer aux frappes1. Sans doute pour ne pas trop dilapider ce qui lui reste de capital diplomatique dans la région.

Pour tenter d’affaiblir véritablement les Houthis, les Américains n’ont d’autres solutions que d’envoyer des troupes au sol. Or, ils s’en gardent bien, vus leurs cuisants échecs en Afghanistan et en Irak. Les Houthis, qui se sont emparés en 2014 de Sanaa, la capitale, défient depuis 9 ans les forces gouvernementales et sudistes appuyées par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Cette organisation est d’autant plus dangereuse qu’elle est pratiquement inconnue. À commencer par le zaydisme, une branche du chiisme, proche du sunnisme, qui, contrairement aux duodécimains en Iran, ne reconnaît que les cinq premiers imams. Le rapprochement avec Téhéran est assez récent. Le zaydisme est pratiqué par environ le tiers de la population yéménite, forte d’une trentaine de millions d’habitants.

Un chef qui n’apparaît qu’en vidéos         

Houthi est d’abord le nom d’une tribu dans les montagnes du nord du pays. Le premier leader, Hussein al-Houthi, tué par les forces de l’ordre en 2004, donne le ton avec pour slogan : « Dieu est grand. Mort à l’Amérique, mort à Israël, malédiction sur les Juifs et victoire à l’islam ». C’est surtout cette haine pour l’Amérique et Israël qui va rapprocher cette organisation de l’Iran, plutôt que le chiisme.

Abdel Malik al-Houthi succède à son frère en 2005 et conduit le mouvement à la victoire en prenant militairement Sanaa en 2014. Le leader d’Ansar Allah, descendant revendiqué du prophète, reste un parfait inconnu. Il serait né en 1979 ou en 1982. Contrairement à Hassan Nasrallah, le chef incontesté du Hezbollah, qui se manifeste parfois en public, Abdel Malik, n’apparaît jamais en chair et en os. Il « s’exprime uniquement dans des vidéos enregistrées, parfois retransmises sur des écrans géants installés dans l’espace public. Durant des allocutions longues de 30 à 90 minutes2 ».

Depuis leur prise de pouvoir sur le nord et l’ouest du Yémen, les Houthis imposent une dictature que ne renieraient pas les Talibans en Afghanistan. Le 18 septembre 2021, ils ont ainsi exécuté neuf personnes accusées d’espionnage, dont un mineur, en place publique. Ils ont changé les programmes dans les écoles, interdisent « les chansons de mariage, en emprisonnant les chanteurs ». Ils séparent les hommes des femmes dans les universités. Ils imposent « leur propagande et leur vision de la religion et de la société. Toute la vie politique est placée sous leur domination », constatait déjà, en 2021, Franck Mermier, l’ancien directeur du Centre français d’études yéménites3.

Une véritable pression des États-Unis sur Israël ?        

En fait, la famille al-Houthi accapare tous les postes importants. Au sommet, Abdel Malik se veut être à la fois l’autorité religieuse, politique et militaire. Mais contrairement à Hassan Nasrallah, il n’est ni charismatique ni brillant. On le décrit comme complotiste, capable d’accuser Washington d’avoir propagé le… sida ! Mais aujourd’hui, grâce aux drones, aux missiles et à tout le matériel militaire sophistiqué apportés par l’Iran, il tient en échec l’Amérique. Depuis les attaques du 7 octobre 2023, il est devenu un héros dans le monde musulman pour son soutien actif aux Palestiniens.

Comment les Houthis espèrent-ils tirer profit de cette situation totalement inédite ? Sur le plan intérieur, depuis la normalisation entre l’Arabie saoudite et l’Iran, les rebelles devaient signer assez rapidement un cessez-le-feu avec Riyad. A présent, rien ne les empêche de reprendre leur offensive dans le Sud contre le Conseil de direction présidentiel, basé à Aden, le gouvernement reconnu par la communauté internationale.

Au niveau international, leurs attaques incessantes contre les navires en mer Rouge ont pour objectif de contraindre les États-Unis à faire pression pour qu’Israël cesse de bombarder Gaza et accepte un cessez-le-feu. Et, si possible, aller plus loin et forcer Tel Aviv à envisager un jour la création d’un État palestinien. Cela paraît plus qu’improbable. Mais l’Occident ne peut pas accepter non plus que la crise en mer Rouge continue encore longtemps à déboussoler le fret maritime et replonge l’économie mondiale dans la récession.

(1)  Hélène Sallon, Piotr Smolar, « Riposte contre les Houthistes en mer Rouge », Le Monde, 13 janvier 2024.   

(2)  Fabien Magnenou, « Yémen : qui est Abdul Malik al-Houthi, le chef insaisissable du groupe rebelle qui attaque les navires en mer Rouge ? », www.francetvinfo, 19 janvier 2024.

(3)  Dimitri Krier, « Entretien avec Franck Mermier sur la guerre civile au Yémen : “S’il n’y a pas de pression sur l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Iran, il n’y aura pas de paix au Yémen’’ », www.lesclesdumoyenorient.com, 21 octobre 2021.