Les drones, petits engins volants télécommandés à distance, ont fait leur apparition dans le monde du renseignement et de la lutte antiterroriste, le 7 septembre 2000. Un an, presque jour pour jour, avant le tournant tragique des attaques du 11 septembre 2001, un drone de type Predators a survolé une ferme où séjournerait le leader d’al-Qaida, Oussama Ben Laden, au sud de Kandahar, dans le cadre d’une mission de reconnaissance qui porta le nom de code d’« Afghan Eyes ».
Les experts antiterroristes se sont émus de la qualité des images captées par ces petits « oiseux de fer », nettement plus précises que celles des satellites espions. Ils prédisent, alors, aux drones un rôle de premier rang dans le renseignement antiterroriste. Un rôle qui va, très vite, dépasser toutes les prédictions. Car, après le 11 septembre, les services américains, lancés aux trousses des chefs d’al-Qaida, ne se sont pas contentés de faire des drones des outils de collecte d’informations visant à débusquer les chefs terroristes. Ils en ont fait des « machines à tuer », en les équipant de missiles Helfire. Les drones ainsi armés pouvaient frapper et pulvériser instantanément les cibles terroristes dès qu’ils les localisent.
A l’époque, l’armée de l’air américaine ne disposait que de cinq drones. Équipés de missiles air-sol, ils ont très vite montré toute l’étendue de leur efficacité. Et il n’a fallu que 9 jours à ces cinq « oiseaux de fer » lancés au dessus de Kaboul, à partir du 7 novembre 2001, pour réaliser un exploit de taille.
En effet, le 16 novembre, un Predator armé de missiles Helfire a repéré le numéro 3 d’al-Qaida, Mohamed Atef, alias Abou Hafs al-Masri, dans une petite maison des quartiers ouest de Kaboul. La cible est aussitôt pulvérisée par le drone. Atef, son adjoint Abou Ali al-Yafi’é et six de leurs gardes sont tués sur le champs.
Un programme de fabrication en chaîne de drones armés de missiles air-sol a alors été lancé. En mai 2004, General Atomics, le fabricant des Predators, en livre trente exemplaires à l’armée de l’air US.
Et ce fut aussitôt le début d’un « guerre des drones », durant laquelle plus d’un million d’heures de vol de ces engins télécommandés ont été effectuées, durant sept ans, dans les zones tribales afghano-pakistanaises. Cela a donné lieu à plus 80 milles missions d’« assassinats ciblés » qui ont permis l’élimination de 2588 cibles terroristes, dont 1357 membres d’al-Qaida.
Plus tard, cette « guerre des drones » s’est poursuivie, avec la même et terrifiante efficacité, sur d’autres front djihadistes, au Yémen, au Sahel, en Libye et bien sûr dans les fiefs syro-irakiens de Daech.
Mais, les organisations terroristes, qui ont longtemps subi les affres des attaques de drones, nourrissent désormais l’ambition de maîtriser, à leurs tour, ces « oiseux de fer », pour en user comme une nouvelle arme technologique lors de futurs attentats djihadistes.
La menace n’est pas tout à fait nouvelle. Depuis 2015, les combattants de Daech ont recours à des drones civils, vendus librement dans le commerce, qu’ils utilisent pour des missions de reconnaissance, mais aussi d’attaque. En les équipant de grenades ou de petites charges explosives de quelques centaines de grammes, ils menaient, jusqu’à l’effondrement des fiefs du Califat, une moyenne de 60 à 100 attaques télécommandées par mois, notamment contre les combattants kurdes et les forces spéciales américaines et françaises.
Un rapport confidentiel américain, intitulé « The Islamic State and Drones : Supply, Scale and Future Threats », affirme que la chute du Califat n’a pas mis fin au programme daechien d’utilisation des drones à des fins terroristes. Selon ce rapport, des documents saisis après la reprise de Mossoul ont montré que Daech a mis en place au sein de son « comité de la fabrication et du développement militaire » une unité dédiée à la maîtrise de la technologie des drones.
De son côté un rapport Français, intitulé « L’Etat Islamique cherche à fabriquer des drones munis d’explosifs de haute intensité », s’alarme du fait que les tests menés sur des engins développés par Daech, notamment en modifiant des drones de fabrication chinoises de type DJI, ont permis de les équiper de charge explosives de plus haute intensité pouvant atteindre 4,9 Kg.
L’importance des charges explosives dont ces drones modifiés peuvent désormais être équipés, conjuguée à la nette amélioration de leur précision de largage, font craindre aux services antiterroristes l’apparition d’une nouvelle forme d’attaques télécommandées, qui ne seront plus confinées aux seules zones djihadistes syro-irakiennes.
On se dirigerait alors vers une « nouvelle guerre des drones » dirigés contre des cibles civiles ou de sites sensibles, à travers des « systèmes kamikazes volants robotisés ou télécommandés ».
Pis encore, le « Plan d’action contre le terrorisme », révélé par le gouvernement français, le 13 juillet dernier, a pointé la « montée en compétences techniques des personnes radicalisées », évoquant dans le point d’action n°19 (le plan comporte 32 points d’action antiterroristes), visant à « anticiper la réponse aux menaces émergentes – nucléaire, radiologique, chimiques, explosifs et drones », l’existence du « risque d’un usage malveillant des drones de la gamme commerciale ».
Si cette l’hypothèse venait à se concrétiser, l’utilisation malveillante des drones accompagnée d’un recours inédit à des charge explosives chimiques ou radiologiques, communément appelés « bombes sales », risque de faire de la « nouvelle guerre des drones », qui s’annonce, un enjeu majeur pour le contre-terrorisme, durant les mois et années à venir.
* Écrivain et consultant, président du Roland Jacquard Global Security Consulting (RJGSC)