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Pourquoi l’élimination du général Qassim Soleimani est (en réalité) un soulagement pour le Régime iranien

1 février 2020 Expertises   29392  

atmane tazaghart
atmane tazaghart

En dépit des joutes verbales enflammées et des gesticulations menaçantes promettant de venger sa mort, l’élimination du général Qassim Soleimani, tué par un drone américain, le 3 janvier dernier, non loin de l’aéroport de Bagdad, est un soulagement pour le Régime iranien ! Et pas seulement pour le courant réformiste, mené par le Président Hassan Rohani et son ministre des affaires étrangères, Mohammed Javad Zarif.

Décrit quelques fois, notamment dans les médias anglo-saxons, comme le numéro 2 du Régime, le général Soleimani n’était officiellement que le commandant d’un subdivision des Pasdaran (Corps des gardiens de la révolution iranienne), la Force al-Qods. Unité para militaire, constituée sous Khomeini et chargée alors de « l’exportation de la révolution », cette force s’est muée, notamment depuis l’arrivée au pouvoir du Président ultra-conservateur, Mahmood Ahmadinejad (2005 – 2013), en une véritable « légion étrangère » œuvrant à renforcer l’influence militaire iranienne au Moyen-Orient.

Les révolutions dites du « printemps arabe » et les guerres fratricides qui s’en sont suivies ont été l’occasion, pour la Force al-Qods, de transformer cette influence iranienne au Moyen-Orient en présence militaire directe, alors qu’elle s’opérait jusque-là par procuration, via une soixantaine de milices chiites pro iraniennes implantées essentiellement au Liban et en Irak.

Très vite, le général Soleimani s’est imposé en seigneur de guerre incontesté en Syrie et en Irak, puis au Yémen aux côtés des Houthis. Tant et si bien que son nom s’est imposé comme l’icône suprême des Pasdaran, éclipsant ceux de Mohamed Ali Jafari, le commandant en chef des Pasdaran (2009 à 2019) et de Hossein Salami, qui lui succéda à ce poste en avril 2019.

Cette fulgurante ascension du général Soleimani a considérablement renforcé la mainmise des Pasdaran sur les centres de décision politiques et économiques en Iran.

Sous l’ère Ahmadinejad, lui-même ancien officier pasdaran, le Corps des gardiens de la révolution était déjà décrit comme une « État dans l’État ». Grace, notamment, à son empire économique, articulé autour de Khatam al-Anbia – un Trust qui compte plus de 2000 sociétés dans les secteurs des banques, du pétrole, du bâtiment, du tourisme et de la téléphonie – les Pasdaran ont fait main basse sur 57% des importations iraniennes et plus 30% des exportations (hors hydrocarbures).

Sous l’égide du général Soleimani, les revenus générés par l’empire économique des Pasdaran ont quadruplé, en à peine une décennie. En 2010, cet empire générait 12 milliards de dollars par an. Aujourd’hui, ce chiffre dépasse les 50 millards de dollars. Et ce grâce, essentiellement, à l’économie informelle, dont le volume par rapport à l’économie officielle est passé de 20% à 42%.

Et c’est au général Soleimani que l’on doit cet essor de l’économie informelle, alimentée par des trafics en tous genres en provenance des pays voisins de l’Iran (Irak, Syrie, Liban, Yémen) où il régnait en seigneur de guerre incontesté. Des trafics qui passent par une soixantaine de ports clandestins et un aéroport spécial à l’ouest de Téhéran gérés par les Pasdaran et échappant à tout contrôle étatique.

Raison pour laquelle le budget annuel alloué aux Pasdaran à été augmenté de 55.000 milliards de riyals, pour atteindre 255.000 millards en 2019, au moment où le budget de l’armée régulière a été réduit à 102.000 millards et le budget global de l’État s’est vu imputé de près de 50%.

Cette « vampirisation de l’économie iranienne » par les Pasdaran n’a pas manqué d’exacerber les animosités à l’encontre du général Soleimani, au sein même du Régime des mollahs qui fait face à une fronde sociale grandissante, en raison – justement – de la détérioration de la situation économique. Car, le pays a subi en 2019 une terrible décroissance de -3,6% (contre une croissance de 1,5% en 2018), qui a provoqué une flambée de l’inflation de plus 40% et gonflé le nombre des iraniens vivant sous le seuil de pauvreté de plus de la moitié.

Cependant, les raisons du soulagement, inavoué mais bien réel, des différents clans du Régime iranien, suite à l’élimination du général Soleimani, ne se limitent pas aux seuls facteurs économiques. Car, fort de l’impressionnante influence militaire qu’il a acquise et du trésor de guerre faramineux qu’il a accumulé, le puissant général s’est cru en mesure de s’affranchir de l’autorité du gouvernement (on se souvient de l’épisode humiliant qu’il a fait subir au ministre des affaires étrangères, Mohammed Javad Zarif, en février 2019, provoquant sa démission, refusée par la suite par le Président Rohani).

Et, ultime sacrilège, le général Soleimani est autorisé de défier l’autorité du vieux Guide suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei, en prenant l’initiative d’ordonner l’attaque contre les sites pétroliers saoudiens d’Abqaïq et de Khurais, en septembre 2019, sans même prendre le soin d’en informer au préalable le bureau du Guide.

Ce faisant, le général Soleimani a franchi l’ultime ligne rouge, qui fédéra contre lui les nombreux et divergents clans de la mollahcratie iranienne. Et donna aux Américains le feu vert implicite de l’éliminer, sans crainte réelle de représailles de la part de Téhéran !