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Les Sœurs musulmanes, des auxiliaires à l’ombre des Frères !

20 décembre 2021 Expertises   3941  

Ian Hamel
Ian Hamel

Fondée en 1933 par Hassan Al-Banna en Égypte, la branche féminine de la Confrérie reste marginalisée. Elle n’accède toujours pas à la hiérarchie de l’organisation. Les ouvrages de référence sur les Frères musulmans, comme The society of the Muslim Brothers de l’Américain Richard Mitchell, Les Frères musulmans des origines à nos jours, de l’Égyptien Amr Elshobaki, A modern history of the Ismalic World, de l’Allemand Reinhard Schulze. Ou encore Le Projet, d’Alexandre Del Val et d’Emmanuel Razavi, ne consacrent que quelques lignes aux Sœurs musulmanes. Elles jouent pourtant un rôle non négligeable pour le moral des troupes.

Il faut toujours des exceptions pour confirmer les règles. C’est le cas de Mohamed et de Nadia Karmous. Un couple installé dans le canton de Neuchâtel, à un coup d’accélérateur de la frontière française. Autant la volubile Nadia Karmous œuvre dans la lumière, autant Mohamed Karmous, d’une discrétion rare, presque timide, préfère l’ombre. Dans le livre Qatar Papers, les journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot leur consacrent un chapitre, intitulé « La Suisse, le coffre-fort des Frères musulmans ». Grâce à ses généreux donateurs qataris, madame a pu financer en 2016 à La Chaux-de-Fonds, dans le canton de Neuchâtel, un Musée des civilisations de l’islam (MUCIVI), qui a coûté quatre millions de francs suisses (3,8 millions d’euros). Malgré tout, Nadia Karmous aurait peut-être dû se préoccuper du taux de fréquentation d’un tel établissement dans les montagnes jurassiennes. Imaginez l’engouement pour ce type de musée à Vesoul ou à Tarascon…

Depuis, la (mauvaise) publicité provoquée par la sortie de Qatar Papers a dissuadé les Qataris de mettre à nouveau la main à la poche pour, cette fois, un ambitieux projet immobilier élaboré par les Karmous, estimé à 22 millions de francs suisses. Nadia Karmous, d’origine algérienne, s’est également illustrée en défendant activement l’innocence de Tariq Ramadan, poursuivi pour cinq viols en France et un en Suisse. La présidente de l’association culturelle des femmes musulmanes de Suisse a d’ailleurs suscité un tollé en qualifiant les accusatrices du prédicateur de ‘’frustrées’’. Son mari, d’origine tunisienne, s’est en revanche désolidarisé de Tariq Ramadan, suivant l’exemple des Frères musulmans français. Moins visible que Nadia Karmous, Mohamed Karmous n’en est pas moins très actif. Non seulement à La Chaux-de-Fonds et au Locle (dans le canton de Neuchâtel), mais aussi à Fribourg, Genève, Bienne, Lugano. Il est le fondateur de la Ligue des musulmans de Suisse (LMS), rattachée à la Fédération des organisations islamiques européennes (FOIE) à Bruxelles.

Des Sœurs musulmanes persécutées

Mohamed Karmous est aussi un porteur de valises, notamment en faveur de l’Institut européen des sciences humaines (IESH) de Saint-Léger-du-Fougeret, dont il était le trésorier. Selon une note des Renseignements généraux, il s’est fait contrôler le 30 avril 2007 par les douanes à la frontière franco-suisse avec 50 000 euros non déclarés.

Mais si Mohamed Karmous n’hésite pas à mettre sa femme en avant, ce n’est toujours pas dans les habitudes de la Confrérie. Hassan al-Banna a d’abord créé une école pour les ‘’mères des croyants’’ à Ismaïlia, la ville où il a fondé les Frères musulmans. La première section des Sœurs musulmanes a vu le jour en 1933 avec pour vocation de former de « bonnes musulmanes qui pratiquent leur religion et interviennent sur le terrain social ». C’est dans la logique de ce que prône Hassan al-Banna : pour parvenir au pouvoir, il faut commencer par les individus, ensuite par les familles, et enfin par toute la société. Certes, les femmes doivent y jouer un rôle, mais sous le contrôle des hommes.

Fondatrice de l’association des Sœurs musulmanes au Caire, Zaynab Al Ghazali va se rapprocher de la Confrérie en 1937. Elle y adhère finalement en 1948, quand celle-ci est interdite par le pouvoir égyptien. Comme les Frères musulmans, des Sœurs vont être emprisonnées et même torturées. Zaynab Al Ghazali le raconte dans son livre Des jours de ma vie (traduit en Français en 1996). Durant les persécutions, sous la dictature de Nasser de 1954 à 1970, les Sœurs, en semi-clandestinité, se montrent très actives pour aider les familles des membres incarcérés.

Mais malgré leurs sacrifices, les Sœurs restent marginalisées dans la Confrérie. Pour Sara Tonsy, chercheuse associée à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM), auteur de Les Sœurs musulmanes : entre révolution et affirmation du statu quo, la priorité des femmes « reste de soutenir les hommes dans leurs missions et d’aider à former les futures générations de la Confrérie (…) Les responsabilités des Sœurs sont donc limitées depuis l’époque de Hassan al-Banna, centrées autour de la maternité et du soutien aux hommes ».

Quatre Sœurs élues en 2011

Pour le fondateur des Frères musulmans, le rôle de la femme reste si marginal qu’à aucun moment il ne parle de sa propre épouse et de ce qu’elle aurait pu dire ou faire, si ce n’est élever leurs enfants. Wafa, la fille aînée d’Hassan al-Banna, mariée à Saïd Ramadan (le père de Tariq et Hani Ramadan, disparu en 1995), vit depuis plus de soixante ans à Genève. Elle ne s’est jamais exprimée et rares sont ceux qui ont même pu l’apercevoir… En Égypte, en revanche, la situation évolue quelque peu. Au début des années 2 000, Jihane Halafawin, une Sœur musulmane, se présente aux élections législatives. Elle est battue, mais c’est une première. En 2011, quatre Sœurs entrent au Parlement. Les femmes peuvent organiser un congrès. Et la Confrérie reconnaît (enfin) leur rôle dans la “révolution“.

Mais depuis la destitution de Mohamed Morsi et la répression qui s’est abattue sur les Frères musulmans, tout est suspendu en Égypte. En revanche dans d’autres pays, notamment en Turquie, les Sœurs poursuivent leurs obligations missionnaires. « Des écoles fréristes et des groupes de soutien ont été fondés par les Sœurs », rapporte Sara Tonsy. Malgré tout, elles n’accèdent toujours pas à la hiérarchie de l’organisation.

Mais faut-il véritablement s’en étonner ? Les Frères sont avant tout des conservateurs. Dans leur esprit, il est inconcevable de donner une quelconque autorité politique ou organisationnelle aux femmes. Pour eux, le rôle des Sœurs doit se limiter à la mobilisation de toute la famille en faveur de la Confrérie.