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Financements qataris : Les lourds silences de l’Éducation nationale sur le lycée Averroès de Lille

18 mars 2021 News   14090  

Suite aux révélations du livre « Qatar Papers » sur les financements qataris octroyés au lycée Averroès à Lille, Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale a commandé deux rapports. Deux ans plus tard, ces rapports destinés à déterminer si les financements étrangers en question sont de nature à révoquer le contrat qui lie ce lycée, fondé et dirigé par des Frères musulmans, à l’éducation nationale (et donc de lui couper les financements publics), n’ont toujours pas été rendu publics…

Par Ian Hamel

Dans le chapitre intitulé « Quand le Qatar veut racheter le lycée Averroès de Lille », dans l’ouvrage « Qatar Papers »(*), les journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot révèlent que le premier établissement musulman sous contrat d’association avec l’État français aurait perçu trois millions d’euros de la part de Qatar Charity, la principale “ONG“ de l’émirat gazier. Sachant qu’à l’origine de la création de ce lycée privé en 2003, se trouve Amar Lasfar, 61 ans, le président de Musulmans de France (ex-UOIF), la structure tricolore de la Confrérie des Frères musulmans.

Rapidement, le ministère de l’Éducation nationale a lancé une inspection pédagogique et financière concernant le lycée. Elle est menée juste avant le confinement. Le premier rapport (numéro 2020-047) est confié à l’inspection générale de l’Éducation nationale. L’audit suivant (numéro 2019-59-202) est réalisé par la direction générale des finances publiques.

Ces deux rapports sont arrivés l’année dernière sur le bureau de Xavier Bertrand, le président de la région des Hauts-de-France. leurs conclusions ne lui ont apparemment pas été satisfaisantes, puisqu’il a demandé en octobre 2020 des précisions à Jean-Michel Blanquer. Selon nos sources, les rapports mentionnent bien les financements étrangers dont bénéficie le lycée, mais n’en tirent aucune conclusion.

Les courriers du président de la région Hauts-de-France sont restés sans réponse à ce jour. De notre côté, nous n’avons pas eu plus de chance de la part du ministère de l’Éducation nationale. C’est le silence radio. Pour sa part, Amar Lasfar, président de l’association qui pilote le lycée Averroès, assure qu’il ne craint « aucune inspection, au contraire, elles permettent de clarifier les doutes. Quant à la subvention de la fondation Qatar Charity oui, elle a été versé et a toujours été tracée explicitement dans notre comptabilité. Elle est tout à fait légale. Elle était de 950.000 euros et non pas de 3 millions ».

Un élu de la région au conseil d’administration d’Averroès !  

Si l’Éducation nationale ne bouge toujours pas, deux ans après la sortie de « Qatar Papers », et continue de verser les sommes prévues dans le contrat d’association avec l’État, en revanche, Xavier Bertrand a suspendu, dès octobre 2019, une subvention de 45.300 euros de la région des Hauts-de-France. Elle devait servir à la rénovation de la toiture et à l’achat d’ordinateurs.

Le lycée Averroès a saisi le tribunal administratif, considérant que la région n’a pas le droit de bloquer une subvention prévue par le contrat d’association avec l’État. « 45.300 euros, ce n’est pas grand-chose, mais c’est symbolique. L’attitude de Xavier Bertrand concernant le lycée Averroès a beaucoup changé. Il faut se rappeler qu’il s’était rendu dans l’établissement au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, non pas pour dénoncer l’islamisme mais pour rassurer les responsables en déclarant qu’il ne faisait pas d’amalgame », rappelle Mohamed Louizi, auteur de « Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans ».

Philippe Emery, le président du groupe Rassemblement national à la région (la seule opposition à l’actuelle majorité), n’épargne pas Xavier Bertrand : « Il était au courant de l’argent versé par le Qatar puisque Nicolas Lebas, l’ancien vice-président du conseil régional, était au conseil d’administration d’Averroès ! il a fermé les yeux pendant des années ». En juillet 2020, Nicolas Lebas, en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche, a quitté le conseil régional des Hauts-de-France pour passer à “l’ennemi“ : il a rejoint le cabinet d’Alain Griset, ministre délégué chargé des PME.

Averroès appelle à voter contre Marine Le Pen

Un rapport confidentiel sur le lycée Averroès, que Global Watch Analysis s’est procuré, rappelle que le 10 décembre 2015, au moment du deuxième tour des élections régionales dans les Hauts-de-France, opposant Xavier Bertrand à Marine Le Pen, l’établissement musulman avait relayé un communiqué de la Ligue islamique du Nord qui appelait clairement à voter contre le Front national (devenu depuis le Rassemblement national) : « Nous citoyens de confession musulman nous ne pouvons rester indifférents devant l’instrumentalisation des peurs de l’islam et des musulmans et de leurs institutions et nous appelons à éviter à tout prix que notre région soit dirigée par le parti du rejet et de l’exclusion. Le dimanche 13 décembre votons massivement contre les porteurs de haine ».

Par ailleurs, ce rapport confidentiel contient une photo, prise en mai 2015, dans les locaux du lycée Averroès. Elle illustre les liens de l’établissement privé avec le Qatar. Amar Lasfar, président de l’UOIF et Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l’enseignement (FNEM), posent en compagnie du Cheikh Hamad Bin Nasser Al Thani, président du conseil d’administration de Qatar Charity, et de Youssef al Kuwari, son directeur exécutif.

En 2015, le lycée musulman avait été mis en cause par Soufiane Zitouni, professeur de philosophie démissionnaire. Dans un texte de deux pages publié dans Libération, intitulé « Pourquoi j’ai démissionné du lycée Averroès », il dénonçait la dérive religieuse et antisémite de l’établissement, accusé de propager « l’islamisme ». Soufiane Zitouni raconte qu’un enseignant du lycée, juste après l’attaque terroriste contre Charlie Hebdo, avait osé écrire que ce journal « cultive l’abject » et « concourt, chaque jour, à la banalisation des actes racistes ». Condamné en première instance, le professeur démissionnaire a été relaxé en cassation. Mais, en dépit de cette affaire, le rectorat de Lille avait conclu que les termes du contrat avec l’État sont « globalement respectés » par le lycée Averroès.

Cinq ans après, du côté de l’État, c’est apparemment toujours « circulez, il n’y a rien à voir » !

(*) L’édition française de « Qatar Papers. Comment l’émirat finance l’islam de France et d’Europe » a paru aux éditions Michel Lafont, en avril 2019. Quant à son édition anglaise « Qatar Papers. How Doha finances the Muslim Brotherhood in Europe », elle a paru chez Global Watch Analysis Editions, en décembre 2019.