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Comment faire face aux « loups guerriers » de la diplomatie chinois ?

24 août 2020 Expertises   83157  

Roland Jacquard

Une nouvelle expression a récemment fait son apparition dans les médias et les cercles diplomatiques internationaux : les « loups guerriers » terme désignant les nouveaux diplomates chinois très affirmés, qui utilisent Twitter et d’autres plateformes de médias sociaux pour s’en prendre à toute personne, morale ou physique, qui critique la Chine ou le Parti communiste chinois (PCC). Cette diplomatie agressive chinoise a tout particulièrement attiré l’attention, ces derniers temps , en raison des efforts acharnés de la Chine pour se distancer de toute association avec le Covid ou accusation de responsabilité dans la propagation du virus. Mais le phénomène n’est pas, tout à fait, nouveau. Car, depuis des années, les diplomates chinois ont tendance à être de plus en plus agressifs.

Et un grand nombre de ces « loup guerriers » ont été récompensés par des postes importants au sein du Ministère des Affaires étrangères (MAE) à Pékin. Ce qui indique clairement que leur contribution offensive à la cause de la Chine à l’étranger bénéficie du soutien des hauts dirigeants.

L’exemple type du « loup guerrier » zélé est Lijian Zhao qui, jusqu’en août 2019, était le chef de mission adjoint de l’ambassade de Chine à Islamabad. Pendant son séjour au Pakistan, Zhao a utilisé activement Twitter pour faire connaître efficacement les avantages du Corridor économique Chine-Pakistan, le projet phare de l’Initiative route et ceinture, sous Xi Jinping.

En tweetant initialement sous le nom de « Muhammad » Lijian Zhao, il voulait probablement attirer l’attention et gagner le soutien des utilisateurs de réseaux sociaux pakistanais. Mais, il a soudainement retiré « Muhammad » de son nom, en avril 2017, lorsque le gouvernement chinois a émis l’ordre d’interdir plusieurs noms islamiques, dans le cadre d’une mesure visant les musulmans ouïghours de la région autonome ouïgoure du Xinjiang.

Lors de son séjour au Pakistan, Lijian Zhao a fait de Twitter une arme pour critiquer ouvertement l’Inde et les États-Unis, tout en louant la profondeur de l’amitié entre le Pakistan et la Chine, en défendant avec force les positions de la Chine sur diverses questions et en faisant l’éloge du PCC.

Zhao, qui a rejoint Twitter en mai 2010, est probablement l’un des tous premiers diplomates chinois à utiliser cette plateforme pour faire avancer l’agenda politique chinois. Il occupe actuellement le poste de directeur général adjoint du département de l’information au Ministère chinois des Affaires étrangères, où ses compétences en matière de production de propagande d’État sont pleinement mises à profit !

Reste à savoir dans quelle mesure ces « loups guerriers » ont-ils réussi à convaincre le reste du monde du bon rôle de la Chine en tant que membre responsable de la communauté mondiale se pliant aux réglementations internationales et aux droits de l’Homme et ne briguant aucune ambition hégémonique ?

La réponse serait, sans doute : sans grand succès ! Car, une recherche rapide dans les médias internationaux, depuis l’année dernière, fournit une liste presque interminable de rapports sur les critiques croissantes à travers le monde du comportement « peu diplomatique » des diplomates chinois.

La Suède en est un bon exemple. Lorsque le PEN suédois a annoncé, fin 2019, qu’il allait décerner le prix Tucholsky à Gui Minhai – un éditeur suédois résidant à Hong Kong et porté disparu en 2015 – l’ambassadeur de Chine en Suède, Gui Congyou, a publiquement menacé le gouvernement suédois de conséquences sévères. Dans une interview accordée à une radio suédoise, quelques jours avant la cérémonie de la remise du prix, il disait ouvertement qu’il espérait que la ministre suédoise de la Culture, Amanda Lind, ne puisse pas assister à la cérémonie, n’hésitant pas à ajouter : « Nous accueillons nos amis avec du bon vin, mais pour nos ennemis, nous avons des fusils de chasse » !

Le texte intégral de son interview a même été publié sur le site web de l’ambassade de Chine, pour une meilleure publicité ! Bien entendu, la ministre de la Culture a assisté à la cérémonie de la remise du prix et le Premier ministre suédois, Stefan Löfven, a affirmé de façon catégorique que son pays ne céderait pas à de telles menaces. Mais l’affaire ne s’arrêtait pas là. En janvier 2020, l’ambassadeur Gui est allé plus loin encore, en commentant la critique de la Chine dans les médias suédois, affirmant que cela lui rappelait « le scénario d’un boxeur léger de 48 kg essayant de provoquer un combat avec un poids lourd de 86 kg ».

Depuis sa nomination en tant qu’ambassadeur en Suède, à l’automne 2017, Gui Congyou a lancé des dizaines d’attaques et de menaces de ce type contre les médias suédois, la société civile et même les services de sécurité suédois. Son comportement toujours aussi impudent a poussé certains partis politiques suédois à demander au gouvernement de l’expulser du pays.

Au cours des derniers mois, dans le cadre de la politique d’intimidation de la Chine et sa propagande visant à imposer son propre récit sur la Covid-19 et d’autres sujets sur lesquels Pékin est mise en question, au moins six pays européens, dont la France, la Suède et le Royaume-Uni, ont convoqué les ambassadeurs chinois dans leur pays respectifs pour protester officiellement contre les campagnes et les commentaires agressifs des ambassades chinoises.

Nicolas Chapuis, l’ambassadeur de l’Union Européenne à Pékin, a été critiqué pour avoir permis à un journal chinois de censurer une lettre ouverte signée par tous les envoyés de l’UE. L’ambassadeur chinois en France, Lu Shaye, a soulevé une vive polémique dans les médias français, pour avoir propagé une fausse propagande sur un échec prétendu du gouvernement français à protéger les résidents des maisons de retraite de la pandémie de CovId.

Lu Shaye était auparavant ambassadeur de la Chine au Canada, où il avait acquis la réputation d’être « direct » et « particulièrement peu diplomatique ». De même, Cheng Jingye, l’ambassadeur de Chine en Australie, s’est récemment moqué de l’appel lancé par l’Australie en faveur d’une enquête sur la cause de la Covid, qualifiant cet appel de « blague », puis proférant une menace à peine voilée, en déclarant que : « les Chinois ordinaires vont peut-être commencer à se dire pourquoi nous devrions boire du vin australien ou manger du bœuf australien ? »

La riposte contre les diplomates chinois a peut-être été la plus forte en Afrique où un certain nombre d’ambassadeurs chinois – au Nigeria, au Kenya, en Ouganda, au Ghana et auprès de l’Union africaine – ont été convoqués par leurs hôtes, pour expliquer le traitement raciste et discriminatoire des Africains en Chine.

Même si cela n’est pas beaucoup rapporté, les fonctionnaires chinois ont généralement tendance à avoir une attitude visiblement condescendante lorsqu’ils traitent avec les pays africains. L’auteur de ces lignes se souvient d’un diplomate des Nations unies, choqué, suite à une rencontre avec des fonctionnaires chinois à Pékin, il y a de cela quelques années, au cours de laquelle le chef de la délégation chinoise avait plaisanté sur un prétendu manque d’intelligence de base des Africains, expliquant que « le soleil avait brûlé non seulement leur peau, mais aussi leur cerveau » !

La belligérance affichée par ce nouveau genre de diplomates chinois ne fait pas qu’aggraver les sentiments anti-chinois dans divers pays, il met Aussi à l’épreuve la tolérance des gouvernements hôtes. Raison pour laquelle le gouvernement suédois a fermé tous les Instituts Confucius chinois au cours des dernières années, le dernier l’ayant été à Falkenberg, durant la troisième semaine d’avril 2020. La Suède est le premier pays de l’Union Européenne à le faire. Elle a aussi laissé expirer plusieurs accords de jumelage avec des villes chinoises, sans les renouveler. Le plus récent étant celui entre Göteborg et Shanghai.

De même, en novembre 2019 et mai 2020, le gouvernement belge a expulsé deux attachés culturels associés aux Instituts Confucius à Bruxelles, lorsqu’il a découvert qu’ils tentaient de nouer des contacts au sein des services secrets belges.

Alors que de plus en plus de diplomates chinois « loups guerriers » utilisent Twitter, une plateforme qui est interdite en Chine, pour critiquer les gouvernements locaux, en conformité avec les attentes de Pékin, la position de la Chine en tant que puissance mondiale émergente en prend un coup. Cela se reflète à travers la montée de sentiments anti-chinois, souvent racistes, observés notamment dans les pays d’Asie et en Occident.

Lijian Zhao pense, sans doute, qu’en faisant des déclarations non fondées sur la possibilité que les États-Unis aient apporté le coronavirus à Wuhan, il a contribué à détourner l’attention de la responsabilité de la Chine dans la pandémie mondiale. Mais ce faisant, s’est-il rendu compte à quel point il s’est éloigné de la sage recommandation de Confucius : Ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse, ne l’inflige pas aux autres !

* Écrivain et consultant, président du Roland Jacquard Global Security Consulting (RJGSC).