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Comment Daech adapte son service de renseignement à l’ère post-califat

7 mai 2019 Investigations   9524  

S’il est évident que le feu couve encore sous les cendres de l’organisation daechienne, l’une des questions principales, que se posent les spécialistes de la lutte antiterroriste, porte sur les stratégies de survie que Daech va adopter, suite à l’effondrement du proto-Etat du califat, en Irak et en Syrie. Amni, son service de renseignement, se trouve au cœur de cette mutation…

Le document que nous présentons ici est une étude de terrain, intitulée « De la direction du renseignement à la direction de tout : Amni, l’émergent média de liaison daechien », menée par Asaad Almohammad, spécialiste indépendant de la violence politique et du contre-terrorisme, et Charlie Winter, chercheur associé au Centre des Études de la radicalisation du King’s College à Londres et au Centre International de la Lutte Contre le Terrorisme de La Haye.
Elle apporte un éclairage important sur les nouveaux modes opérationnels de Daech, retrace ses métamorphoses, notamment celles concernant sa chaine de commandement, et révèle l’apparition de nouveaux centres de décision au sein de Daech, focalisés autour de sa Direction Générale de la Sécurité (DGS), connue auparavant sous l’acronyme arabe Amni.

Retour à la « guérilla » ?

Si Daech s’est replié sur lui-même, depuis l’effondrement de son rêve de Califat, les auteurs constatent que sa fragilité ne l’empêche pas de renouveler ses modes d’actions. La nébuleuse djihadiste liée à Daech a une présence avérée en Afrique, en Asie et au Moyen Orient. Elle œuvre à attiser les tensions religieuses, notamment entre sunnites et chiites, afin de préserver sa force de nuisance. Et ce à travers des attentats, des assassinats et autres opérations terroristes. Elle revient, ainsi, à des opérations de type guérilla, selon le modus operandi insurrectionnel qu’elle a déjà testé et pratiqué en Irak. Des attaques, destinées à redonner à Daech sa « vitalité », qui nécessitent des nouveaux modes de coordination opérationnelle. D’où l’émergence de la DGS devenue prédominante au sein son commandement.
Cette étude, réalisée pour Perspectives on Terrorism, une publication spécialisée éditée par le think tank américain Terrorism Research Initiative (TRI), s’appuie sur des interviews menées entre janvier et Octobre 2018, à l’Est de la Syrie. Sur cette base, elle avance dans ses conclusions l’hypothèse que la DGS est l’organe qui a le plus évolué, depuis l’effondrement du califat, pour devenir le cœur du processus décisionnel de Daech.

Du renseignement à la propagande :

La DGS gère, à présent, plusieurs dossiers dont le recrutement, l’entrainement, l’espionnage, la gestion des centres de détention et de torture, ainsi que la préparation des attentats terroristes en Occident.
Entre Janvier 2017 et Février 2018, après la création du « centre sécuritaire unifié », les pouvoirs de la DGS ont été considérablement renforcés. En plus de la gestion des opérations militaires, elle est désormais en charge des opérations extérieures, du renseignement et aussi des affaires religieuses. Mais c’est à travers la « direction médiatique centrale », et notamment de son « Bureau Médiatique de la Sécurité », qu’elle s’est distinguée et est devenue prédominante dans le commandement de l’organisation.
Pour réaliser des « productions médiatiques centralisées », ce bureau mise sur son agence de presse A’maq, qui à la primauté de l’accès aux informations internes à Daech. Informations qu’elle sécurise par le biais d’une stratégie sécuritaire axée sur quatre impératifs :
– la prévention : en limitant l’accès à internet dans les rangs de Daech, pour préserver les informations sensibles.
– la Dissuasion : à travers la restriction de l’accès aux données stockées (data) de l’organisation et, le cas échéant, en appliquant de sévères sanctions pouvant aller jusqu’à l’exécution des djihadistes soupçonnés d’espionnage.
– la surveillance : strictement imposée à toutes les personnes et à tous les lieux liés à la production ou au transport des informations sensibles.
A cette stratégie de sécurisation, s’ajoute un volet de propagande basé sur un stricte contrôle des membres de l’organisation, par le cloisonnement et par une « politique de déception » alliant la désinformation et la propagande.
Ainsi, pour faire face aux revers qu’il a subis dans ses fiefs traditionnels au Moyen-Orient, Daech mise sur sa DGS, désormais en charge, à la fois, de mener le combat armé et médiatique. Il en va de sa survie…

Encadré :

AMNI métamorphosé en DGS

Créé par Samir Abd Muhammad al-Khlifawi, un ancien colonel-major de renseignement de Saddam Hussein, AMNI, l’ancêtre de la DGS, a longtemps été dirigée par le syrien Abou Mohamed al-Adnani, personnage emblématique de l’organisation, commanditaire de plusieurs attaques terroristes en Europe. À sa mort en 2016, il fut remplacé par son compatriote Ali Musa al-Shawakh, alias Abou Lôqman, et Abou Ayoub al-Ansari. C’est ce dernier, selon les chercheurs, qui a changé la structure de la DGS, pour en faire un département responsable à la fois des dossiers sécuritaires et médiatiques.