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Abdul Rahman al-Suwaidi : 35 ans dans l’enfer des Frères musulmans (3/5)

11 décembre 2019 Interviews   10597  

Abdul Rahman al-Suwaidi est un ancien leader islamiste émirati. Repenti, il délivre ici un témoigne implacable sur les 35 années qu’il a passées dans l’enfer des Frères musulmans. Face à nos caméras, il divulgue, dans série d’entretiens sans concessions, les secrets les mieux gardés de la Confrérie, démasque son double discours et révèle l’entendue de ses tentacules cachés implantés à travers le monde…

Propos recueillis par Atmane Tazaghart

 


– Comment fonctionne le « bureau mondial » des Frères musulmans ? Et pourquoi est-il entouré de tant de secrets et d’intrigues ? 

– L’Organisation mondiale des Frères musulmans est hiérarchisée verticalement en trois niveaux : le premier niveau comprend les organisations dites nationales, comme l’Organisation des Frères musulmans aux Emirats… etc. Celles-ci sont autonomes. Elles ont chacune son propre organigramme et son responsable officiel, qui est le Contrôleur ou l’émir. Et aussi ses propres associations. Le deuxième niveau comprend les Groupes régionaux organisés sous la forme de conseils régionaux. Pour les Émirats, cela s’appelle le conseil de coordination du Golfe ou le conseil du Golfe. Il comprend 8 pays. Les 6 pays du CCG, Oman, Émirats Arabes Unis, Arabie saoudite, Qatar, Bahreïn et Koweït, auxquelles s’ajoutent le Yémen et de l’Iran. Car, le Yémen est situé dans la péninsule arabique et l’Iran a une Façade sur le Golfe. Il existe un Bureau Asie, un Bureau Europe, un Bureau Afrique… etc.

Les responsables des Organisations nationales sont chargés de la structuration et la coordination de ces Groupes régionaux ainsi que la désignation de leurs responsables en chef. Les responsables locaux des 8 pays du conseil du Golfe s’accordent entre eux pour désigner le responsable en chef, le secrétaire et le chargé d’affaires du Bureau du Golfe. Et ces derniers tiennent, à leur tour, des réunions conjointes Golfe-Asie-Afrique-Europe, qui se tiennent souvent en Europe et plus précisément en Grande-Bretagne, pour choisir les membres du « Bureau mondial.

En déclinant ces trois niveaux, national, régional et mondial, on constate que le statut de l’Égypte s’inscrit quelque peu en porte à faux de la logique de cet ordre hiérarchique. Il y a d’un côté l’Égypte, pays du fondateur l’Organisation, Hassan al-Banna. Et de l’autre, le « Bureau mondial », basé en Grande-Bretagne, qui gère les activités de la Confrérie au niveau global. Cette présence en Grande-Bretagne permet de mieux communiquer, d’autant plus qu’il y a beaucoup moins de tracas sécuritaires avec les Services de sécurité européens. Ce qui est incomparable avec l’Égypte où la situation est souvent instable. Et de ce fait, le Contrôleur et les membres de l’Organisation en Égypte n’ont pas la marge de liberté nécessaire pour communiquer, ordonner ou proscrire des choses.Pour compenser cela, les Égyptiens ont acquis, historiquement, une certaine emprise sur le « Bureau mondial ». Même si cette emprise a récemment commencé à se relâcher, avec la multiplication des organisations à travers le monde.

– Pourquoi les organisations locales des Frères musulmans dans certains pays nient l’existence même de ce « bureau mondial ».

– Certaines filières de la Confrérie ont effectivement nié toute appartenance à l’Organisation mondiale des Frères musulmans. Mais, paradoxalement, suite à la crise récente, elles ont annoncé leur retrait de cette Organisation à laquelle elles disaient ne pas appartenir ! Les bases précaires et chancelantes sur lesquelles la grande entité de la Confrérie a été fondée sont pour beaucoup dans les contradictions qu’on observe aujourd’hui. L’Organisation vacille aux niveaux régional et mondial. On pouvait donc s’attendre à ce que ce genre de contradictions s’accentuent, surtout lorsque les organisations locales de la Confrérie dans certains pays traversent des crises. Ce qui révèle des choses qui n’auraient pas été divulguées en temps de stabilité.

Toutes les organisations classifiées comme terroristes, de tous les pays et toutes les religions, y compris les Frères musulmans, ont deux faces : l’une ouverte au grand public, l’autre cachée. Cela s’applique à l’Organisation secrète mondiale des Frères musulmans dont certains nient l’existence et d’autres le reconnaissent.

– Ils  pourraient se contenter de dissimuler l’existence du « bureau mondial », pourquoi vont-ils jusqu’à nier publiquement son existence ?

– L’absence de la dimension patriotique dans la pensée de la Confrérie est la raison principale de cette confusion, même si elle n’est pas la seule. c’est un facteur qui y a contribue considérablement. Car, la loyauté doit s’exercer naturellement envers l’État et le gouvernement du pays où l’on vit. C’est ce que nombre de juristes musulmans ont mentionné, depuis l’époque Abbasside, lorsque l’État s’est dispersé en plusieurs sultanats islamiques. Aucun de ces juristes n’a dit que le musulman doit renoncer à sa loyauté, son obéissance et son allégeance envers le prince de tel sultanat ou émirat ou État.

Il est vrai que le Calife avait une autorité symbolique, mais c’est au prince de chaque région qu’on prêtait allégeance. Nous n’avons jamais entendu dire que dans tel pays on a prêté allégeance à un autre pays ou à une autre pensée. Et c’est en cela que consiste la contradiction au sein de l’organisation des Frères musulmans où, par une succession de sermons, la loyauté se conclue par l’allégeance au Guide suprême. Ainsi, la loyauté ou l’allégeance officielle envers le dirigeant du pays où l’on vit devient formelle.

Et la dissimulation qui en découle crée un complexe d’infériorité chez certains. Car, leur allégeance n’est pas pour leur propre pays, mais est prêtée à d’autres. Alors, ils nient l’existence de l’Organisation internationale, pour donner de la crédibilité à leur allégeance aux dirigeants de leur pays, qui n’est en réalité qu’une apparence.

Pour moi, il n’est pas logique d’avoir une double allégeance, comme s’il s’agissait de quelqu’un qui souffre d’un dédoublement de la personnalité. Si vous avez deux référents à la fois, l’un dit d’aller à gauche et l’autre à droite et vous vous dites : je suis aussi loyal à celui-ci qu’à celui-là. Mais, alors, lequel allez-vous suivre ?

C’est pour cela qu’on n’évoque jamais ces choses-là aux niveaux moyens et subalternes de la Confrérie. On affirme, au contraire, que la loyauté va uniquement au dirigeant du pays où l’on vit. Sinon les nouvelles recrues risquent de fuir l’Organisation, si elles venaient à apprendre que leur allégeance doit aller à l’étranger.

Les membres de la Confrérie les plus expérimentés finissent par comprendre comment fonctionnent ses structures mondiales. Ils considèrent alors que leur loyauté envers leur pays n’est qu’une formalité et que leur allégeance fondamentale va au Guide suprême des frères musulmans. Or, cela pose problème. Si une position précise doit être arrêtée, concernant une situation donnée dans le pays où à travers le monde, doivent-ils se conformer à la position du Guide Suprême ou à celle du dirigeant de leur pays ?

Le plus souvent, c’est la position prise à l’étranger qui est retenue. Et c’est pour cela que certains d’entre-eux cherchent à dissimuler l’existence de l’entité directionnelle globale ou du « Bureau mondial » des Frères musulman, appelez le comme vous voulez. Ils disent qu’une telle instance n’existe pas. Ce qui est inexact et contradictoire.

Et c’est pour cela que la Bay’a est la cause principale de la promulgation de lois criminalisant certaines pratiques. Si vos documents d’identité, votre nationalité et votre passeport spécifient que vous êtes originaire de tel pays, comment pouvez-vous, dès lors, prêter allégeance envers une organisation étrangère ? La loi considère cela comme de la trahison ou de l’intelligence avec l’ennemi. Nier l’existence de l’Organisation mondiale des Frères musulmans permet de réduire les risques de poursuites judiciaires. Les filières de la Confrérie dans certains pays disent donc, pour la forme, que leur allégeance va à leur pays. Et ne reconnaissent pas avoir prêté allégeance à l’étranger.

Par cette dissimulation, il cherchent à contourner le fait qu’il n’est pas logique d’avoir deux entités qui peuvent donner des instructions et assigner des responsabilités. Car, si elles sont d’accord, tout va bien. Mais en cas de désaccord, leurs instructions seront contradictoires et provoqueront une sorte de schizophrénie chez les membres de la Confrérie. Sur un plan personnel, cela donne naissance à des troubles dissociatifs entre l’extérieur et l’intérieur, l’intime et le public, et conduit à ce qu’on appelle la taqîya, c’est-à-dire la duplicité.

Cette duplicité génère une confusion et une cacophonie perceptibles par l’entourage proche de la personne en question. Notamment, lorsque la Confrérie adopte des points de vue très éloignés de ceux de l’État dont cette personne porte la nationalité et envers lequel il doit être loyal. Cette personne se retrouve alors en contradiction avec l’intérêt national. Ce qui engendre un conflit intrinsèque. Car, l’appartenance à la Patrie devient tributaire des orientations de la Confrérie. Alors que c’est l’intérêt de la Patrie qui doit prévaloir sur le soutien qu’une personne peut avoir pour une Organisation et la sympathie qu’elle peut manifester pour les activités ou pour les instances de cette Organisation.

C’est pour ces raisons que la loi criminalise de telles pratiques et punit leurs auteurs par la déchéance de la nationalité ou de la citoyenneté, puisque leur loyauté va l’étranger. Certains pays les appellent des agents au service de l’étranger, d’autres les accusent d’intelligence avec l’ennemi. Alors que dire de gens ayant une allégeance et une dépendance totales à une entité étrangère ? Il n’y a aucun doute sur le fait qu’ils ont abandonné l’appartenance patriotique au profit d’une Organisation extra-nationale.